Imitons les Anciens !
Un rat des champs avait pour ami un rat de maison. Le rat de maison invité par son ami s’empressa d’aller dîner à la campagne. Mais comme il n’avait à manger que de l’herbe et du blé, il dit : « Sais-tu bien, mon ami, que tu mènes une vie de fourmi ? Moi, au contraire, j’ai des biens en abondance. Viens avec moi, je les mets tous à ta disposition. » Ils partirent aussitôt tous les deux. Le rat de maison fit voir à son camarade des légumes et du blé, et avec cela des figues, un fromage, du miel, des fruits. Et celui-ci émerveillé le bénissait de tout son cœur, et maudissait sa propre fortune. Comme ils s’apprêtaient à commencer le festin, soudain un homme ouvrit la porte. Effrayés du bruit, nos rats se précipitèrent peureusement dans les fentes. Puis comme ils revenaient pour prendre des figues sèches, une autre personne vint chercher quelque chose à l’intérieur de la chambre. À sa vue, ils se précipitèrent encore une fois dans un trou pour s’y cacher. Et alors le rat des champs, oubliant la faim, soupira et dit à l’autre : « Adieu, mon ami, tu manges à satiété et tu t’en donnes à cœur joie, mais au prix du danger et de mille craintes. Moi, pauvret, je vais vivre en grignotant de l’orge et du blé, mais sans craindre ni suspecter personne. »
Cette fable montre qu’il vaut mieux mener une existence simple et paisible que de nager dans les délices en souffrant de la peur.
Ca vous rappelle quelque chose ? "Un beau jour le rat des villes invita le rat des champs d'une façon fort civile à des reliefs d'ortolan..." A l'époque de La Fontaine, on pensait qu'un bon créateur est quelqu'un qui imite bien les Anciens. Celui-ci traduisait à sa manière les fables d'Esope - dont voilà un exemple - et les adaptait au goût de son époque.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Ma fille, parce qu'elle est la seule à oser me critiquer ouvertement, est ma meilleure conseillère. Après un atelier qu'elle a partagé avec moi, elle m'a fait remarquer qu'elle aurait apprécié d'avoir des modèles de textes pour trouver comment écrire mieux. N'étant pas très motivée pour la leçon scolaire en atelier d'écriture, je me suis demandé comment donner des modèles aux enfants sans pour autant les formater. Le mieux serait peut-être de leur proposer de traduire des récits déjà existants. Les fables de La Fontaine sont, certes, populaires, mais soyons honnêtes, nos enfants ne les comprennent pas vraiment. Quelle mère n'a pas eu son quart d'heure de solitude à essayer de lire une fable à ses chérubins qui n'y comprennent goutte ? Moi-même, aujourd'hui encore, je ne suis pas sûre de savoir vraiment ce que sont des "ortolans"... (Des oiseaux, non ?) Faisons-leur traduire La Fontaine comme lui-même traduisait Esope ! On pourrait imaginer un atelier dans lequel on lirait une fable, puis on en éclairerait l'histoire. Ensuite, on demanderait aux enfants de la raconter à leur manière, comme si l'histoire se passait aujourd'hui. Ils pourraient ainsi s'appuyer sur une structure narrative existante tout en expérimentant l'écart temporel et la liberté que donne la réécriture. La Fontaine, enfin à hauteur d'enfant... Ca fait rêver !